Incroyable mais vrai. Me Yawovi Madji Agboyibo, président fondateur du Comité d’Action pour le Renouveau ( CAR) nous a quitté à jamais le 30 mai 2020 à Paris . La triste nouvelle abasourdît les Togolais et bien au-delà. Le célèbre avocat, auteur de plusieurs ouvrages et surtout animal politique redoutable tirait ainsi sa révérence à l’âge de 76 ans. La densité de l’homme et ses immenses œuvres rendues à la nation togolaise poussèrent des universitaires du Togo à organiser un colloque international en son hommage dans la capitale togolaise en juin 2021. Le thème est: «Me YAWOVI AGBOYIBO, Histoire d’une vie et d’un temps (1943-2020)».
Avocat de formation et militant des droits de l’homme, il est considéré comme un précurseur de l’ère du renouveau démocratique en mettant fin à la triste époque politique du pays marquée par les affres du parti unique, le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), un parti-état qui s’est mué en Union pour la République (UNIR). Opposant à la dictature de Gnassingbé Eyadema, Me Agboyibo est à l’origine de la création de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), fondée en 1987 et dont il est le premier président de 1987 à 1990, ouvrant ainsi une nouvelle page de l’histoire du Togo. Bien que le pays semble renouer avec les signes d’un passé politique douloureux pour le peuple et nostalgique pour les ‘’faucons du pouvoir’’ selon les termes de l’ illustre disparu, les quelques acquis démocratiques qui restent encore aux Togolais portent le sceau de l’homme politique.
Il est le fondateur du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) en 1991 et a dirigé le parti de 1991 à 2008 puis de 2017 à 2020.
Me Agboyibo a réussi à obtenir une amnistie générale des opposants exilés ainsi qu’une charte introduisant le multipartisme en 1991. Bien attendu, il avait aussi obtenu la liberté d’expression et de religion pour les citoyens.
Pour protester, en son temps, contre l’invalidation de la candidature de l’opposant radical Gilchrist Olympio (fils du Président assassiné Sylvanus olympio, père de l’indépendance) à l’élection présidentielle de 1993, son parti décide de boycotter le scrutin. Gnassingbé Eyadema fut facilement réélu.
L’année suivante,- 1994-, le CAR obtient 36 sièges sur 81 au Parlement et Me Agboyibo devrait être nommé premier ministre au terme de l’alliance qu’il avait pourtant scellé avec Edem Kodjo. Ce dernier a préféré lui tourner dos et s’est rallié au parti au pouvoir. Le poste de premier ministre est alors revenu à Edem Kodjo dont le parti n’avait obtenu que 7 sièges. Le RPT, l’ancien parti unique qui avait obtenu 35 sièges avait formé une nouvelle majorité avec l’UTD de Edem Kodjo, qui avait déclaré que son parti est charnière contre toute attente.
Eyadéma fut réélu président en 1998 lors d’une élection dont le dépouillement fut très contesté. Le candidat Gilchrist Olympio de l’UFC était donné vainqueur lors des décomptes partiels, plongeant ainsi le pays dans une nouvelle crise politique.
Pour résoudre cette crise, l’opposition, dont Agboyibo, et le parti au pouvoir signent en juillet 1999 l’Accord-cadre de Lomé.
Le 3 août 2001, Agboyibo est jeté en prison en raison d’une plainte en diffamation du Premier ministre Kodjo Agbéyomé. Le processus de dialogue politique entre l’opposition et le pouvoir est alors interrompu. La cour d’appel de Lomé annule les poursuites contre Agboyibo et ordonne sa libération en janvier 2002 mais celle-ci n’intervient effectivement qu’en mars.
Ironie du sort, en septembre 2006, Agboyibo succède à Edem Kodjo au poste de premier ministre à la fin du Dialogue National qu’il a présidé.
En 2008, Agboyibo quitte la présidence du CAR et laisse la place à Dodji Apevon. Agboyibo devient président d’honneur du parti. Apévon monopolisera le parti jusqu’en 2016, soit la durée deux mandats sans organiser un congrès, plongeant le CAR dans une crise, laquelle aboutit au départ d’une partie de sa direction, menée par Apevon, qui fonde un nouveau parti, les Forces démocratiques pour la République (FDR). Agboyibo redevient président du CAR en janvier 2017 ce, jusqu’à son décès en France le 30 mai 2020 à l’âge de 76 ans, des suites d’une courte maladie.
Me Agboyibo a également à son actif plusieurs ouvrages et réflexions. Au nombre de ses publications on peut retenir :
‘’Le combat pour un Togo démocratique’’ publié en Novembre 1999 aux Editions Karthala; ‘’Gouvernance Politique et Sociale en Afrique – 20 ans après le sommet de Baule – le cas du Togo’’ est parue aux Editions FAR en Janvier 2010; ‘’Paramètres humains de l’action politique, pour la bonne gouvernance en Afrique’’, Editions Harmattan en Décembre 2011; le dernier avant sa mort ‘’Ce que les anciens m’ont dit sur Kouvé’’, Les Editions Continents en janvier 2020.
Cet homme d’Etat, décédé le 30 mai 2020 à Paris, a eu droit à des obsèques dignes de son rang, avec des hommages émanant des hautes personnalités du Togo et du monde à Lomé et à Kouvé où il repose dans les entrailles de la terre qui l’a vu naître.
Le Changement
Retour sur la vie de l’homme
Me Yawovi Madji Agboyibo est né le 31 décembre 1943 à Kouvé, commune Yoto 1 dans la préfecture de Yoto.
Il est fils de Soklou Agboyibo et Dohofia.
En juin 1965, il est admis au baccalauréat philosophie au Collège Moderne de Sokodé.
En 1969, il obtint un diplôme de Maîtrise en Droit privé à la Faculté de Droit d’Orléan-la-Source en France après être nanti d’une Licence en droit privé à la Faculté de Droit de l’Université de Dakar en 1968.
En 1969 et précisément le 27 octobre, il est admis en tant qu’avocat stagiaire (secrétaire d’avocat défenseur) chez Me Anani Santos puis en mars 1971 à l’Etude de Me Raymond Viale.
Entre 1974 et 1975, il obtient une licence en lettres modernes à l’Université du Bénin (Université de Lomé) et en 1979, un diplôme d’Etudes Approfondies en Droit privé à la Faculté de Droit à l’Université de Côte d’Ivoire.
Le 18 mars 1978, il se marie à Attiogbé Afi à la Mairie Centrale de Lomé ; lequel mariage a été consacré le 18 mai 1984 à l’Eglise Christ-Roi de Kouvé.
Déjà en 1980, il fait publier, par les Nouvelles Editions Africaines (NEA), ses travaux en matière de la Responsabilité Civile en Afrique, dans l’Encyclopédie Juridique pour l’Afrique (Tome II).
Il est élevé à la dignité d’officier de l’ordre du Mono, le 23 avril 1982.
Le 24 mars 1985, il est élu député indépendant à l’Assemblée Nationale du Togo
En mars 1987, il représente à Genève en Suisse, le Togo à la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies.
Pour protester contre un projet de loi visant à supprimer de la liste des fêtes légales, la date anniversaire de l’indépendance du Togo, il démissionne de ses fonctions de rapporteur général de l’Assemblée Nationale, le 22 avril 1987. Le projet n’a pu être adopté.
En 1987, il devient le 1er bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Togo, qu’il a lui-même contribué à créer.
Le 20 octobre 1987, il est élu Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH)
De 1990 à 1995, il siège au Conseil Pontifical ‘’Justice et Paix’’ du Vatican, alors présidé par le Cardinal Etchegary, sous l’autorité du Saint Père Jean-Paul II.
De 1990 à 1999, il est élu membre du Comité des Droits de l’homme de l’Union Interparlementaire dont il a été vice-président puis président.
Le 11 octobre 1990, il se démet des fonctions de Président de la CNDH à la suite de la répression policière du soulèvement populaire du 5 octobre 1990.
Le 13 décembre 1990, il crée, dans le cadre des actions de sensibilisations des populations aux valeurs démocratiques, le Comité d’Action contre le Tribalisme et le Régionalisme (CATR)
Le Jeudi 14 mars 1991, au cours d’une réunion tenue dans la soirée au restaurant ‘’la Pirogue’’, dix associations regroupées sous la dénomination de Font des Associations pour le Renouveau (FAR), l’ont élu à leur tête. Il lance au nom du FAR l’appel au soulèvement populaire du 16 mars 1991, réprimé de manière brutale par le pouvoir.
Du 12 octobre 1998 à 2005, il préside l’Union des Partis Africains pour la Démocratie et le Développement (UPADD), partenaire africain du Parti Populaire Européen (PPE) au Parlement Européen.
Du 03 août 2001 au 14 mars 2002, il est incarcéré à la prison civile de Lomé pour avoir dénoncé l’assassinat de Mathieu Kégbé et autres crimes commis dans la préfecture de Yoto par des militants du RPT dirigés par Akomabou.
Le 14 mars 2005, Me Agboyibo est porté à la tête d’une coalition de partis de l’opposition pour présenter au scrutin présidentiel du 24 avril 2005, un candidat unique à la personne de M. Bob Akitani.
En Mars 2006, il préside le dialogue National qui a débouché sur l’Accord Politique Global (APG) le 20 août.
Le 16 septembre 2006, il est nommé Premier Ministre du gouvernement de sortie de crise prévu par l’Accord Politique Global ( APG) en vue d’organiser des élections législatives démocratiques pour la mise en place d’une Assemblée Nationale pluraliste.
Le 27 avril 2008, il est élevé à la dignité de Commandeur de l’Ordre du Mono.
Le 30 mai 2020, il décède à Paris

