Si l’opposition togolaise n’est pas un monstre à plusieurs têtes, incapable de s’accorder autour d’une stratégie unitaire, elle lui ressemble. Suite aux nombreuses irrégularités et fraudes massives ayant entaché le double scrutin législatif et régional du 29 avril 2024, et aux résultats faisant la part trop belle au parti au pouvoir, deux candidats élus de l’opposition choisissent de boycotter l’hémicycle. Dans le même temps, l’un des trois autres qui acceptent d’y siéger va jusqu’à jouer les premiers rôles aux premières heures de la nouvelle législature. Fait paradoxal, un candidat malheureux dont le parti est pourtant en alliance avec celui au pouvoir, émet des signaux favorables à une participation au prochain gouvernement. Le comble, tous condamnent le caractère frauduleux des élections et rejettent les résultats. Finalement, quel crédit accorder à une telle opposition ?

Dans un mémorandum relatif à décision de ne pas siéger, l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) réitère son refus catégorique de siéger au parlement. Pour justifier sa décision, le parti de Jean-Pierre Fabre est revenu sur les conditions ‘’inacceptables ‘’ d’organisation de ce scrutin et la promulgation d’une nouvelle constitution contestée.

 « L’ANC n’a pas vocation à valider l’immoralité et l’indécence politiques ainsi que la culture de l’illégalité tranquille qui gouvernent notre pays depuis plus d’un demi-siècle. Il est venu, maintenant plus que jamais, le moment de dire non et de réévaluer sans la moindre complaisance, la position à tenir, les actions à mener, dans l’intérêt bien compris des populations togolaises engagées et mobilisées »,

De son côté, le Parti les Forces Démocratiques pour la République (FDR) qui, au début, entretenait un suspens sur sa participation ou non aux travaux de la nouvelle législature a, dans une déclaration en date du 3 juin, clarifié sa position : Me Apévon, l’élu du parti dans le grand Lomé ne siégera pas à l’assemblée.

« Après avoir réalisé le plan macabre de liquidation et d’humiliation de toute l’opposition, les auteurs de cette aventure peu glorieuse ont finalement compris qu’ils sont allés trop loin dans leur hold up et que la présence des cinq députés de l’opposition à l’assemblée nationale est une caution dont ils ont besoin pour leur servir de vernis démocratique. Mais derrière ce malin besoin de leur faire jouer le rôle d’opposition parlementaire au côté d’une majorité qu’ils ont voulu écrasante, se cache en réalité un gros piège, celui de les rendre complices de leur projet et de saper ainsi leur engagement de lutter contre ce coup d’état constitutionnel. La prétendue nouvelle constitution, dont personne ne connaissait auparavant le contenu, a été rendue accessible au public le jour même de la rentrée parlementaire et le règlement intérieur adopté par l’assemblée nationale mentionne clairement que la nouvelle législature est placée sous l’égide de la nouvelle constitution », a dénoncé le parti FDR dans sa déclaration.

« C’est pour éviter cet engrenage que le parti FDR décide de ne pas siéger en rappelant que toutes ses prises de positions au sujet de cette constitution imposée au forceps, il a toujours clamé haut et fort qu’il ne l’acceptera pas », a conclu Me Dodji Apevon, président national des FDR, signataire du communiqué. En bonus,  le parti FDR a pris la décision de ne pas autoriser ses 3 conseillers régionaux à siéger au conseil régional.

Le parti ADDI et le regroupement DMP qui, comme l’ANC et les FDR ont fustigé avec véhémence, les irrégularités, les fraudes indescriptibles et les violations flagrantes des droits des électeurs ayant marqué le double scrutin, ont brandi des arguments peu ou prou convaincants pour siéger au parlement. Comme si cela ne suffisait pas, c’est un autre candidat aux législatives, cette fois-ci malheureux, membre d’un parti historique de l’opposition, qui monte au créneau pour développer des velléités de participation au prochain gouvernement.

Il s’agit de Séna Alipui, 2ème Vice-Président de l’UFC chargé des Finances et de la région des Plateaux, également Président de l’UFC Canada et 3 ème Vice-Président de l’Assemblée Nationale sortante. Ce dernier a brillé à l’Assemblée nationale par ses interventions au demeurant, savantes, confirmant ainsi sa parfaite maîtrise des dossiers politiques du pays.

« Depuis les dernières élections, j’ai eu l’occasion d’échanger avec de nombreux Togolais dont mon patron et ce à plusieurs reprises… Beaucoup parlent du Togo , de ce qui ne va pas et de ce qu’il faut faire mais peu sont prêts à faire le pari  du Togo et prendre le risque de travailler sur ce chantier…Nous allons continuer à travailler avec toutes les forces politiques pour faire du Togo l’or de l’humanité… La politique ce n’est la bagarre ou un débat stérile sans fin sur les problèmes ou encore un tribunal où on vient régler des problèmes personnels sous la fausse couverture du titre de politicien, activiste ou journaliste… Parler c’est bien, agir c’est  mieux… Pour nous, la politique c’est surtout l’action…c’est proposer des solutions et quand on en a l’opportunité, participer à les implémenter… », écrit-il sur sa page Facebook.

Lorsque suite à des élections aussi controversées que celles du 29 avril au Togo, un candidat malheureux tient des propos du genre qui ont la particularité de sonner agréablement à l’oreille du parti au pouvoir, généralement, on n’a pas besoin d’un dessin pour imaginer là où il voudrait en venir.

Ce qui étonne dans l’attitude du 3ème Vice-président de l’Assemblée nationale sortante, est que son parti l’UFC est depuis 2010 en alliance avec le RPT (l’ancien parti au pouvoir des cendres duquel naquit l’actuel) en vue d’une cogestion des affaire publiques au Togo. Au nom de cette alliance, son parti qui, jusqu’à un passé récent, siégeait au gouvernement, a détenu, entre autres, un portefeuille de souveraineté comme celui des affaires étrangères. A propos, selon des témoignages recueillis, le ministre Eliot Ohin, qui a bien représenté le Togo à l’étranger, a aussi procédé à une profonde réorganisation de son Département.

On compte encore aujourd’hui des membres de l’UFC à la tête de certaines préfectures du Togo où ils représentent le pouvoir central. Cette alliance, à notre avis, n’a jamais été rompue, du moins, officiellement. Ceci étant, il parait pour le moins, curieux  qu’on se sente obligé de monter au créneau pour exprimer sa disponibilité à collaborer avec son allié, avant que ce dernier ne daigne se manifester.

Que reste-t-il de l’accord signé le 26 mai 2010 entre le Rassemblement du peuple togolais (RPT), aujourd’hui Union pour la République (Unir) et l’Union des Forces de changement (UFC) ? Il y a 4 ans, Isaac Tchiakpé, l’un des influents conseillers du président national de l’UFC, Gilchrist Olympio, affirmait que  « l’esprit de cet accord du 26 mai 2010 est pérenne ». Les accords, nous rappelle le Prof. Gnininvi, l’ex Secrétaire général de la CDPA, sont des accords, « ils n’engagent que les signataires ».

Pour l’opposition togolaise, la définition d’une stratégie unitaire face à la ‘’majorité’’ s’impose comme un défi à relever. Tant qu’elle n’y parviendra pas, on peut craindre que la lutte pour le changement démocratique et la réalisation de l’alternance au pouvoir dans laquelle elle s’est engagée, n’ait encore de beaux jours devant elle.

JNT