Pour donner une bouffée d’oxygène en vue  d’atteindre le cap des 200.000 tonnes de coton-graine en 2022, la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT) est passée sous le contrôle d’Olam, un groupe singapourien spécialisé dans l’agroalimentaire, depuis 2020. Galvanisé par ses succès au Tchad, en Côte d’ivoire et au Gabon etc., le nouveau patron de l’or blanc, Olam Agri s’est engagé à déplafonner la croissance de la filière au Togo. Mais mal lui en pris. Pour des raisons difficiles à imaginer, les choses ne se passent pas comme prévues. Entre le retard du paiement des producteurs et une production en deçà des attentes, Olam se retrouve dans l’œil du cyclone. Dans les rangs des cotonculteurs, la déception est indescriptible. De plus en plus de voix s’élèvent pour exiger le départ de la tête du secteur par ce géant asiatique  à qui les députés de la 6ème législature avaient fait confiance, le 29 juin 2020 en votant  à l’unanimité la cession de 51% des 60% des parts que l’Etat Togolais détenait dans le capital de la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT). Mais la question se pose de savoir si le départ du Group Olam est la solution. Ces producteurs ne semblent-ils pas mieux inspirer pour prendre eux-mêmes leur destin en main ?

                 La filière cotonnière en difficulté des années durant au Togo, a été cédée en 2020 au groupe Olam, présent dans l’industrie alimentaire et agroalimentaire, ce géant asiatique a déboursé 15,3 millions d’euros (10 milliards FCFA) pour acquérir 51% des parts de la société, tandis que le Groupement des producteurs (25%) et l’Etat (24%) se partagent le reste.  Les clauses de l’entente indiquent que la Nouvelle Société Cotonnière du Togo (NSCT), sera responsable de toutes les activités cotonnières dans le pays, de l’engagement auprès des agriculteurs à la commercialisation, en passant par l’égrenage et la vente.

Espoir déçu

                Mais sur le terrain, l’espoir suscité par cet important changement intervenu à la tête de la filière, surtout de la part du gouvernement, a tôt fait de fondre comme du beurre au soleil. En effet, le gouvernement togolais avait recouru à l’expertise et l’expérience d’Olam pour « induire un développement substantiel du secteur cotonnier ».  Mais hélas…

                « Nous l’avons observé pendant plus de 3 ans, et actuellement cela ne nous met pas en confiance d’être avec lui pour avancer. On nous avait vraiment mis en confiance vu ce qu’on nous avait dit au Tchad sur son succès dans certains pays », a confié Koussouwè Kouroufei, président de la Fédération Nationale des Groupements de Producteurs de Coton (FNGPC) au confrère agridigitale.

                Après une baisse de 11 % en 2022-2023 et une chute de près de 25 % l’année précédente, la FNGPC n’arrive plus à encaisser le coup. Ces chiffres sont bien loin des  200 000 tonnes de coton-graines que Olam ambitionnait d’atteindre à l’horizon 2022. « Au Tchad, ils sont arrivés quand le Coton était à 16 mille tonnes et en moins d’une année, ils ont pu augmenter la production à 116 mille tonnes ; idem en Côte d’Ivoire où le rendement au champ et le rendement fibre à l’égrenage a progressé de 43 voire 44% avec la rénovation des usines etc. Au Togo par contre, avant leur arrivée, nous avons un rendement entre 600 – 700 kg à l’hectare, et on pensait pouvoir passer à 900 kg voire 1000 kg, mais à ce jour, rien de concret en termes d’augmentation de rendement et autres », déplore Koussouwè Kouroufei.

                « Et pire encore, ils accrochent des dettes à la fédération chaque campagne, sans qu’on ne sache d’où viennent ces dettes », a dévoilé le président de la FNGPC, dépassé par la situation. Par ailleurs, des dysfonctionnements et non des moindres sont maintes fois dénoncés par les producteurs depuis l’arrivée du Groupe Ola à la tête de la filière. A titre d’illustration, on évoque le cas des engrais et  pesticides qui ne sont jamais fournis aux producteurs en quantité requise et à temps pour garantir de bonnes récoltes.

Retard dans le payement

                Plus grave, à en croire les producteurs, après la récolte et la vente du coton, ils sont tenus d’attendre souvent des mois avant d’encaisser les sous issus de la vente de leur produit. Ce qui impacte considérablement la préparation de la campagne suivante de production. C’était le cas en décembre dernier dans la région des savanes. Après avoir clôturé, des producteurs ont été laissés sans aucune information. « Les années passées, on nous payait parfois même 72heures après avoir clôturé la vente. Cette année, on ne sait pas ce qui se passe », s’était indigné Baldja Tindani, un producteur du Groupement de Producteurs de Coton ( GPC) Ignassang de Tantoga. « On ne nous dit pas la vérité. Apparemment, il y a des choses qu’on ne veut pas nous faire savoir et chaque jour on nous trompe. J’ai mon fils qui est hospitalisé, il doit être opéré mais je n’ai pas d’argent. Je suis allé à la Direction Régionale de la NSCT pour comprendre ce qui se passe mais on m’a dit que le Directeur est absent »,  s’est plaint un autre producteur.

                Déjà pour le compte de l’année 2024, la campagne de production cotonnière peine jusqu’à ce jour à se lancer, et même jusqu’à cette heure, le prix du Coton graine bord champ n’est toujours pas connu. En plus de cela, le prix des intrants aussi n’est pas encore connu par les producteurs pour parler même de leur disponibilité. « Nous les producteurs, c’est notre travail et nous avons déjà commencé les semis. OLAM n’était pas là, on produisait, donc même s’il va partir ou rester, nous allons toujours produire. Nous avons déjà donné des orientations en tant que premier responsable de la fédération, aux collègues producteurs, de préparer les champs et on les encourage à aller vers les semis. Les problèmes sont là mais nous rassurons que les solutions seront trouvées au fur et à mesure », a déclaré le président de la Fédération Nationale des Groupements de Producteurs de Coton ?

Le départ du Group Olam…et après ?

Aujourd’hui la rupture de confiance entre les producteurs et le géant asiatique a atteint un point de non-retour. Les producteurs ne manquent aucune occasion pour exiger le départ pur et simple du Group Olam de la tête de la filière.

                Si on peut comprendre la déception de ces producteurs qui sont amenés aujourd’hui à élever la voix, on ne peut cependant pas comprendre la naïveté dont ils ont fait preuve en 2020 en acceptant de conclure avec l’Etat et le Groupe Olam, une entente qui se révèle finalement un marché de dupe.

                Lorsqu’en 2020, il était question d’une reprise du secteur cotonnier par le Groupe, ils devraient comprendre que c’était pour masquer son échec dans la gestion du secteur que l’Etat faisait appel à un Groupe asiatique. Dans ces conditions, ils devraient tirer toutes les conséquences de cet échec cuisant de l’Etat pour décider de prendre, eux-mêmes, leur destin en main. A l’époque, s’ils s’étaient constitués en un fort groupement de production de coton, ils ne manqueraient nullement d’institutions financières pour les accompagner. Au contraire, les banques se bousculeraient devant leur porte pour leur apporter leur appui et aujourd’hui ils feraient office d’un regroupement de producteurs imposant sur le marché. Ils n’en seraient pas réduits comme ils le sont à exiger le départ de qui que ce soit. Aujourd’hui, la même naïveté les pousse à exiger le départ du Group Olam comme si le seul départ de ce partenaire serait la solution à leurs problèmes.

                En effet, depuis le début de ce bras de fer, les responsables ne se prononcent pas sur la suite des événements après le départ de leur partenaire. Envisagent-ils de confier la gestion du secteur à l’Etat comme ce fut le cas pendant des décennies avec les résultats que tout le monde connait ou décident-ils finalement de prendre le secteur en main, eux-mêmes ? Le tout n’est pas de chasser un partenaire défaillant, il importe surtout de trouver une alternative pour booster le secteur.